Se laisser inspirer par des vies consacrées…
2 février : Fête de la vie consacrée
La vie au Carmel a attiré des femmes bien différentes… Recensons trois livres sortis dans le dernier trimestre 2022 : ils présentent trois carmélites qui peuvent nous aider aujourd’hui à marcher sur notre propre chemin de vie et de sainteté.
Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582)
Le chemin de la sainteté est ouvert par Dieu à tous les chrétiens : le Concile Vatican II l’a réaffirmé avec force (cf. n° 40 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium). Les saints que nous donne l’Eglise en sont des témoins évidents : ils peuvent nous aider à marcher sur notre propre chemin. Le livre que nous propose le frère carme Luc-Marie Perrier tente la synthèse entre l’approche dogmatique et l’approche spirituelle : les définitions de la personne humaine, de ses modes d’action et de relation avec Dieu et avec les autres, sont relues au travers du prisme de l’expérience de sainte Thérèse d’Avila et des conseils relevés dans ses écrits.
Une ambition aussi bien théorique que pratique conduit donc cet ouvrage : préciser l’anthropologie et la sotériologie chrétiennes – pour bien affermir les contours d’une foi rendue parfois floue aujourd’hui ; et suivre les pas d’un guide expérimenté sur le chemin de la sainteté. Avec des angles d’attaque très évidents (définitions augustiniennes, méthodes et vocabulaire thomistes…), l’auteur navigue avec aisance entre la théologie de Thérèse et la théologie de l’Eglise catholique d’aujourd’hui. Ce n’est pas un ouvrage de recherche, ouvrant des perspectives nouvelles ; c’est bien plutôt un manuel pour les chrétiens qui désirent nourrir autant leur foi confiante en Dieu que le contenu de cette foi.
La pédagogie des écrits de sainte Thérèse est ainsi largement mise en valeur : un livre qui invite autant à la lire, qu’à prier avec elle « le Bon Jésus » et à se laisser conduire par lui en cherchant avec une conscience pure à réformer sa vie.
Sainte Elisabeth de la Trinité (1880-1906)
Elisabeth de la Trinité, carmélite canonisée en 2016, est une maîtresse de vie intérieure déjà reconnue par ses contemporains qui recevaient lettres, témoignages et conseils. Depuis sa mort, d’autres écrits ont été retrouvés, notamment la prière dite « Elévation à la Sainte Trinité », écrite le 21 novembre 1904 : c’est cette prière qui fait ici l’objet de la méditation de l’auteur, carme en Italie.
Ce livre semble être le fruit d’une lente lectio divina : non pas une lecture savante qui chercherait l’érudition, par exemple en retrouvant avec précision toutes les références qui ont pu inspirer la jeune carmélite ; mais plutôt une lecture priante qui nous attire dans sa prière, et nous entraîne à regarder notre propre relation à Dieu à la lumière de la relation qu’Elisabeth entretenait avec la Sainte Trinité. Cette lecture nous fait passer sans cesse de la forme au fond.
A partir du vocabulaire employé, l’auteur dégage une structure qui est celle de toute vie spirituelle : partir des désirs et des aspirations ; se confronter aux obstacles et aux pauvretés ; oser dans la foi le constat que ces limites n’emprisonnent pas parce que Dieu devient lui-même la force et la lumière qui nous manquent. Tout cela est vécu par Elisabeth sous le sceau de l’offrande et de l’abandon. Puis l’auteur explore trois grands thèmes qui scandent la prière : la maison accueillante, la luminosité de la foi, l’amour sponsal, comme trois lieux possibles pour une relecture de notre propre chemin spirituel.
Tout en laissant à Elisabeth l’unicité de ce qu’elle a vécu, laissons ses mots devenir pour nous comme une invitation à descendre en profondeur, afin de trouver, toujours au-delà de nos suppositions, de nos efforts, le Dieu qui nous attend.
Sœur Thérèse de Jésus (1925-1976)
C’est la première édition de la correspondance entre une carmélite et un bénédictin aux parcours hors du commun. Henri Le Saux, bénédictin de Kergonan, a entendu l’appel à aller vivre en ermite en Inde, et il y est parti en 1947. Entré en contact avec le Carmel de Lisieux, et devenu « Swami Abishiktananda », il entretint une correspondance profonde avec Thérèse de Jésus, maîtresse des novices en plein questionnement personnel. Leurs échanges la convainquirent de rejoindre l’Inde, elle aussi, pour tenter une forme féminine d’érémitisme, cherchant la synthèse entre le retour aux sources de l’Ordre du Carmel, la tradition hindoue et l’attachement au Christ et à l’Eglise.
L’édition nous livre leurs lettres presque à mains nues, laissant toute la part au texte : les introductions, notes et commentaires sont très réduits ; quelques coupes ont été opérées, sans précision ; pas de carte de l’Inde qui aiderait à situer tous les lieux évoqués. Sur presque dix années (1959-1968), cette première partie de la correspondance permet de retracer l’évolution intérieure des deux religieux, et de cerner un peu leur profil et leur recherche respective.
« L’appel de l’Inde » se décline pour eux, et d’abord pour Henri Le Saux, de plusieurs manières : intégration de la tradition spirituelle hindoue dans l’expérience chrétienne ; recherche des germes de vérité dans l’hindouisme, qui sont autant de pierres d’attente de la rencontre du Christ ; posture de simple présence du Christ au milieu des hindous, dans une forme de vie qui puisse leur parler de Lui… dans la certitude qu’il n’y a pas opposition mais complémentarité entre les deux traditions spirituelles. Présence de pure gratuité, sans prosélytisme ni apologétique. Henri Le Saux et Thérèse de Jésus s’efforcent de suivre les appels de l’Esprit Saint, qui se fraie un chemin à travers leurs conditionnements humains : failles et limites personnelles, insatisfactions, obéissance aux supérieurs…
C’est à travers tout cela que le Christ émonde et purifie le désir des deux correspondants, qui se veulent en permanence au service de l’Eglise et de la mission. Une très belle lecture, avec des perles, qui fait toucher du doigt combien l’Esprit est à l’œuvre dans toute vie. Certains passages restent un peu obscurs, d’autres au contraire éclairent les chemins de la vie spirituelle, ou comment se laisser conduire par l’Esprit dans un discernement permanent, qui n’est d’aucune évidence.
Quelques extraits :
« La vie chrétienne et religieuse est tellement simple, et justement comme sa simplicité échappe, on en fabrique des surimpositions où l’on puisse, à sa satisfaction, se sentir, se connaître, chrétien et spirituel. C’est comme l’eau dont la saveur est de n’en point avoir, et à quoi on ajouterait quelques gouttes de vin pour tâcher de découvrir le goût de l’eau. (…) Entrer dans la vérité, c’est se retrouver où on est, mais avec une conscience nouvelle, celle de ressuscité fils de Dieu. » (Lettre d’Henri Le Saux, 1er oct. 1960)
« Ce n’est pas parce que l’on se recueille mal en la foule, qu’il faut se retirer au désert. Le désert, comme la foule, c’est une mission d’Eglise. En soi, le Seigneur est partout. (…) Nous ne pouvons jamais être loin que de notre conception de Dieu, jamais de Lui. (…) Le contemplatif n’est pas celui qui s’est ramassé dans l’idée qu’il s’est fait de Dieu et qui en jouit. Le contemplatif réel est celui qui a laissé l’Esprit l’enlever, et lui ôter tout appui même en ce qu’il appelait sa contemplation. » (Lettre d’Henri Le Saux, 14 janv. 1962)
« Difficultés et insatisfactions se retrouvent partout, car partout l’on porte avec soi la source première de ces difficultés et insatisfactions qui est soi-même. Nulle part, on ne rencontrera les conditions idéales de son rêve spirituel. (…) La ‘pax’ bénédictine doit se comprendre à la lumière des enseignements du Seigneur : ce n’est pas une stabilité, mais un dépassement de soi en chaque instant, à l’aide des circonstances que le Seigneur rendra le plus souvent adverses, pour nous empêcher précisément de nous installer quelque part que ce soit. La paix du Seigneur n’a rien à voir avec des circonstances paisibles de vie. » (Lettre d’Henri Le Saux, 2 août 1962)