Fêter sainte Thérèse d’Avila
15 octobre 2023
Cette année, la fête de sainte Thérèse d’Avila est tombée un dimanche… Occasion de faire découvrir notre « Madre Fundadora » aux fidèles venus nous rejoindre.
Voici l’homélie prononcée par le Père François Odinet sur l’Evangile de la Samaritaine (Jean 4, 5-15) :
« Donne-moi à boire… »
demande Jésus à cette femme de Samarie qu’il ne connaît pas. Sur la croix, c’est le même Jésus de Nazareth qui lancera : « J’ai soif ! » L’évangile de Jean nous montre la soif de Jésus, une soif bien humaine puisqu’ici, en Samarie, Jésus vient de marcher longuement et puisque là-bas, à Jérusalem, il subira un supplice redoutable. Mais la Samaritaine reconnaît Jésus comme prophète. Or les prophètes bibliques savent interpréter ce qu’ils vivent en leur chair comme des signes venus de Dieu, des signes que Dieu adresse à d’autres à travers eux. Ainsi, la soif de Jésus, le vrai prophète, devient signe d’une soif qui a sa source en Dieu lui-même. Et puisque Jésus est prophète, il réussit à susciter en retour une soif profonde chez son interlocutrice : si Jésus lui demande à boire, c’est elle, ensuite, qui lui demandera l’eau vive. Au bord d’un puits, avant le partage de l’eau, advient la communication de la soif.
Un tel partage révèle l’art, qu’a Jésus, de franchir les frontières : Jésus se trouve en Samarie, dans une terre qui n’est pas la sienne et où il est immédiatement reconnu comme un étranger. Il franchit aussi les frontières des habitudes, des convenances, en s’adressant à cette femme. Cette femme qui vient seule au puits, à l’heure la plus chaude, n’est sans doute pas une femme qui a bonne réputation. C’est donc la rencontre d’un étranger et d’une femme méprisée, à 1’écart de la ville. Il en va toujours ainsi dans les évangiles : ce sont les derniers, les méprisés, qui révèlent les soifs les plus profondes qui habitent le cœur de tout être humain.
C’est bien ce qui se joue ici : dans cette rencontre improbable, est révélé quelque chose de plus profond que l’étrangeté ou le mépris. C’est ainsi que nous pouvons comprendre la double référence à Jacob, puisque Jésus et la Samaritaine se trouvent autour du puits donné par Jacob. Pourquoi cette mention du patriarche, sinon parce qu’il est l’ancêtre commun aux Samaritains et aux Juifs ? Parler de Jacob, c’est, pour Jésus et la Samaritaine, se souvenir qu’ils ont une origine commune, et qu’e1le s’enracine en Dieu, dans la fidélité du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. La soif prophétique de Jésus renvoie à quelque chose qui habite le cœur de chaque personne humaine, et révèle la profondeur de notre communion les uns avec les autres, au-delà de ce qui ordinairement nous divise — y compris, même, les catégories religieuses, puisque Juifs et Samaritains étaient étrangers aussi sur le plan religieux. Une soif profonde nous réunit.
C’est d’ailleurs un signe paradoxal qui révélera la profondeur de notre soif commune : c’est la profondeur du puits, dont parle la femme de Samarie. Et si l’eau vive est d’un autre ordre que l’eau du puits de Jacob, c’est parce qu’elle se puise à une grande profondeur plus grande encore. Puiser l’eau vive, cela demande que nous descendions en nous pour y trouver Dieu lui-même. Puiser l’eau vive suppose d’habiter nos propres soifs et de découvrir qu’en elles, c’est Dieu lui- même qui a soif de nous rencontrer et de se communiquer.
Jésus, la Samaritaine, sainte Thérèse… et nous
Quelque chose d’un portrait de Thérèse d’Avila se dessine ici. Thérèse est une femme qui n’a pas eu peur des soifs qui l’habitaient. Nous sommes tentés de craindre nos soifs de rencontre, de communion au-delà des frontières, d’amitié authentique avec Dieu — et de les enfouir en nous, comme on assèche un puits. Thérèse n’a pas craint sa soif, au contraire, elle l’a habitée, et je crois qu’elle invite ceux et celles qui suivent aujourd’hui le chemin spirituel du Carmel à oser aussi habiter leur soif. De plus, Thérèse d’Avila a franchi bien des frontières, non seulement en prenant la route pour fonder des Carmels, mais aussi en invitant à un style spirituel qui a choqué bien des esprits autorisés de son époque. Enfin, par son insistance permanente sur la vie d’oraison, elle manifestait à quelle profondeur il faut chercher la source qui murmure au fond de nous. Elle qui a tant contemplé cette rencontre de Jésus avec la Samaritaine nous invite, nous aussi, à la rencontre : avec le Dieu vivant, source de toute vie, et avec la soif de toute personne humaine, en qui Dieu fait couler une source mystérieuse.